L'apparent recul de Fillon
Les évolutions récentes du dossier de la réforme de la formation des enseignants Quinze jours décisifs
Par André Ouzoulias (IUFM de Versailles, Université de Cergy-Pontoise)
Après sa rencontre avec François Fillon mercredi dernier, la Conférence des Présidents d’Université a diffusé un communiqué dans lequel elle dit « qu’elle a constaté que des ouvertures réelles existaient. ». Dans un article intitulé « Grandes manœuvres pour officialiser le recul », mis en ligne le soir même sur son site Interro écrite, le journaliste du Monde, Luc Cédelle, y voit l’annonce des reculs à venir sur le front de la réforme de la formation des
maîtres[1]. Comme on aimerait que Luc Cédelle ait raison ! Or, quand on analyse chacun des trois points du communiqué de la CPU : « installation très rapide d’une commission nationale de suivi, formation complémentaire lors de l’année de stage, caractère expérimental des maquettes 2009 et possibilité ouverte de dépôt en 2010 », et en s’en tenant aux seuls éléments connus, il semble qu’on doive conclure beaucoup plus prudemment. A priori, il n’est pas question de différer la mise en place des nouveaux concours en 2011.
Il n’y a donc ici aucun signe qui permette de penser que le gouvernement renonce à appliquer la réforme dans les délais prévus initialement, ce qui serait le recul le plus significatif.
La « commission nationale de suivi » : authentique concession ou placebo ?
Sur le premier point, le principe d’une commission de suivi fait partie de la réforme depuis le début. Il avait déjà été affirmé dans un communiqué commun des deux ministères le 15 janvier. Je cite : « La commission nationale d’évaluation de la formation des maîtres assurera le suivi de la mise en oeuvre de cette réforme. » Il est donc difficile d’y voir une concession de fond.
Le fait nouveau, c’est que cette commission d’évaluation ou de suivi sera installée dans les prochaines semaines, plutôt que l’an prochain.
Mais cela laisse plutôt penser que l’on s’oriente vers la mise en place de la réforme prévue dès 2009. On est donc très loin du communiqué du 19 février, où la CPU demandait « une année de concertation nationale permettant de traiter sur le fond l’organisation concrète de la nouvelle formation : masters, concours, premières années d’exercice du métier et accompagnement social des étudiants » et « la mise en place immédiate d’une commission nationale chargée d’élaborer, dans la concertation, un cadre commun de formation, de définir les contenus et les modalités des concours et de veiller à la cohérence de l’ensemble du dispositif et à son évolution». Le 19 février, la CPU demandait l’ouverture d’un processus de négociation pour une refonte complète du dispositif, durant une année de concertation. Six jours plus tard, elle semble se contenter d’une « commission du suivi » de la réforme, ce qui, en toute rigueur, suppose son application immédiate… Qui recule, la CPU ou le gouvernement ?
« Alternance » ou « formation complémentaire » ?
Sur le deuxième point, il faut attendre des précisions. Car tout dépend de l’ampleur du « complément de formation». Entre un demi service sur l’année et 3 heures par semaine le mercredi après-midi, il y a une différence. La CPU réclamait « une première année de fonctionnaire stagiaire pour les reçus au concours, reposant sur le principe de l’alternance ». On pourrait vraiment parler d’alternance dans le premier cas, pas dans le second. On voit bien aussi les enjeux budgétaires : le demi service coûterait 8 000 postes environ, les 3 h du mercredi après-midi, quelques heures de formateurs… On espère que la CPU n’a pas donné son aval à la seconde solution.
Le caractère expérimental des maquettes 2009 et le dépôt ouvert jusqu’en 2010…
C’est ce qui fonde, pour l’essentiel, l’interprétation de Luc Cédelle : le transitoire et l’expérimental, ce n’est plus l’intangible. Mais, pour l’heure, une autre interprétation ne peut malheureusement pas être écartée : a priori, le gouvernement souhaite la mise en œuvre des nouveaux concours dès 2010, il se prépare toujours à la prochaine promulgation des décrets, il ne fait que des concessions verbales. Les informations en provenance du cabinet du
Premier ministre paraissent corroborer cette interprétation : François Fillon « se dit convaincu de la nécessité, dès maintenant, d’une mise en œuvre des dispositifs de formation et de recrutement des maîtres » (AEF n° 109899). On en saura plus avec ce que Xavier Darcos va dire cette semaine à la CPU.
Quinze jours décisifs
La rencontre de Valérie Pécresse avec la CPU vendredi, qui a débouché sur les concessions qu’on connaît concernant le statut des enseignants- chercheurs, l’annonce de rencontres de la CPU avec Xavier Darcos, tout cela laisse penser que le gouvernement cherche une porte de sortie et que, pour l’ensemble du conflit qui embrase les universités, il a choisi un interlocuteur privilégié : la CPU. Mais d’après les divers communiqués diffusés le 25 février, si François Fillon a annoncé ce jour-là à la CPU son intention de reculer, au moins partiellement, sur le statut des enseignants-chercheurs, sur le budget et sur les postes, on peut penser qu’il annoncé aussi son intention d’ouvrir les nouveaux concours dès janvier 2010. Le gouvernement pourrait ainsi chercher à éviter de tout perdre et à préserver la réforme à laquelle il tient le plus, celle de la formation des maîtres. Il pourrait compter pour cela sur une baisse de la mobilisation après les concessions annoncées par Valérie Pécresse vendredi dernier.
La CPU a une raison d’atténuer ses demandes, c’est la prise en compte des conséquences fâcheuses du chantage de Xavier Darcos, le 12 février sur RMC, où il a dit : « Je suis recruteur, j’ouvre les nouveaux
concours dès 2010. Les universités feront ce qu’elles voudront, je trouverai bien les candidats dont j’ai besoin… » Ces conséquences sont malheureusement faciles à anticiper : étudiants déboussolés et pénalisés, asphyxie des IUFM qui, faute de masters, n’auraient plus d’étudiants en septembre 2009, cafouillages et désordres divers,
annulations de concours mal ficelés, recrutement de jeunes non préparés, etc. Plusieurs observateurs ont aussi noté que Xavier Darcos, se sachant sur le départ, n’a personnellement plus rien à perdre et qu’il peut se dire : « Après moi, le déluge ». [2]
Mais rien n’est joué. Comme paraît le montrer l’accueil des annonces du 25 février par la communauté universitaire, les signes évidents de fléchissement que vient de présenter le gouvernement pourraient encourager les universitaires à renforcer leurs actions, voire à élever leurs ambitions.
Les quinze prochains jours seront décisifs. La rencontre de la CPU avec Xavier Darcos est très attendue. S’il annonce le report en 2011 des nouveaux concours, cela marquerait vraiment le recul espéré. Cette rencontre aura lieu avant le jeudi 5 mars. Ce jour-là, la CPU se réunira en séance plénière pour tirer les conclusions de ses
discussions avec le gouvernement. De son côté, le gouvernement ne peut guère attendre au-delà du 15 mars pour faire connaître les projets de décrets instituant les nouveaux concours. En effet, il ne peut pas laisser moins de deux semaines aux universités pour ajuster leurs projets de masters et les déposer sur le bureau de Mme Pécresse avant le 31 mars, délai ultime. Mais il ne passera à la phase réglementaire que s’il sent une mobilisation descendante et s’il est à peu près certain de ne pas avoir à abroger les décrets un mois après les avoir promulgués. La hantise du gouvernement, en effet, c’est le scénario noir d’une jonction entre la mobilisation des personnels des universités et des IUFM, les inquiétudes des étudiants, l’exaspération des enseignants du premier degré et la colère qui monte chez les salariés. Jusqu’au 19 mars, il sera donc très attentif au nombre de
personnes dans les AG, au nombre de grévistes et de manifestants.